
XVème
Les Pleurants du Duc de Berry
Les pleurants, ces statues poignantes et émouvantes qui veillent aux côtés des gisants dans de nombreuses églises, cathédrales et lieux de sépulture, ont une symbolique profonde et leur portée religieuse et spirituelle transcende le matériau dont elles sont faites pour toucher l’âme de ceux qui les contemplent.
Dérivés de l’art funéraire médiéval européen, les pleurants sont souvent représentés drapés de manière sombre et mélancolique, la tête penchée en signe de tristesse ou les mains jointes en prière. Leur posture évoque la douleur et le chagrin face à la perte d’un être cher, mais elle exprime également une profonde réflexion sur la nature éphémère de la vie terrestre et la promesse de l’au-delà.
Sur le plan religieux, les pleurants rappellent la vanité des biens matériels et la nécessité de se préparer spirituellement à la mort.
Dans la tradition chrétienne, les pleurants peuvent être interprétés comme des symboles de compassion et de consolation divine. Ils rappellent la compassion du Christ pour les souffrances humaines et l’espérance de la résurrection.
Leur présence dans les lieux de culte invite les fidèles à se tourner vers Dieu dans les moments de deuil et de désespoir, en trouvant réconfort dans la foi en la vie éternelle.
Illustration
Œuvre issue de l’album :
«Les Grandes Heures de Bourges» – Édition Promo-Cher – 1989 ®
Droits de reproduction autorisés pour l’évènement par l’auteur
Par Bernard Capo

Et en memoire duquel Charles VII, roi de France, son nepveu et heritier, prince tres chrestian et victorieux fit faire cette sepulture
«Et en mémoire duquel Charles VII, roi de France, son neveu et héritier, prince très chrétien et victorieux fit faire cette sépulture»




L’exposition exceptionnelle en 2028
Jean de Berry est le troisième fils du roi Jean II le Bon de France et de Bonne de Luxembourg.
Marié en 1360 avec Jeanne d’Armagnac, le couple aura sept enfants. En 1389, veuf, il épouse Jeanne de Boulogne, union sans descendance.
Les deux couples représentés en statues agenouillées sont à admirer à la Cathédrale Saint Etienne de Bourges.
Jean de Berry a exercé une influence considérable dans les affaires politiques de son temps.
Il est célèbre pour avoir été un passionné des arts et de la culture et sa commande la plus célèbre demeure Les Très Riches Heures du Duc de Berry, réalisé par les frères Limbourg.
Jean de Berry meurt à Paris le 15 juin 1416. Charles VII fera achever son tombeau en 1439 qui se compose de la statue du duc sculptée par Jean de Cambrai et des 40 pleurants qui forment le socle de l’ensemble, œuvres de Jean de Cambrai, d’Etienne Bobillet et Paul Mosselman.
Certains sont sculptés en marbre, d’autres en albâtre.
L’ensemble est exposé à la Sainte Chapelle jusqu’à la destruction de celle-ci au 18ème siècle.
En 1756, le monument est placé dans la crypte de la cathédrale Saint Etienne de Bourges.
La Révolution disperse les pleurants.
A ce jour, il est officiellement répertorié 27 pleurants, 10 sont exposés au Musée du Berry à Bourges. Les 17 autres statuettes sont propriétés du Musée du Louvre, de Fondations, ou de particuliers.
Extrait
« La Sainte-Chapelle de Bourges »
Une fondation disparue de Jean de France, duc de Berry
Édition Somogy – Éditions d’Art
Par Béatrice de Chancel-Bardelot
Le Tombeau du Duc Jean
Le duc de Berry hésita longtemps sur le choix de son lieu de sépulture : Poitiers, la chartreuse de Vauvert, près de Paris, ou la cathédrale de Bourges furent successivement évoqués. D’après un document émanant de son frère Philippe le Hardi, il a arrêté définitivement son choix sur la Sainte-Chapelle de Bourges au plus tard en1403. Pour son monument funéraire, il est vraisemblable, mais non assuré, qu’il passa commande, de son vivant, au sculpteur Jean de Cambrai. Toutefois, à la mort du duc, en 1416, rien n’indique l’état d’avancement du travail. C’est seulement en 1449 que Charles VII paye les héritiers de Jean de Cambrai (mort en 1438) pour le gisant du duc, et l’année suivante qu’il se préoccupe de parachever la sépulture’. En 1453, le roi René, de passage à Bourges, offre une gratification à deux sculpteurs qui travaillent à la sépulture du duc de Berry, Étienne Bobillet et Paul Mosselman.
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Une quarantaine d’années plus tard, Paul Gauchery accompagne ses publications sur le duc de Berry d’une reconstitution en plâtre du tombeau, dont il annonce dès 1893 qu’elle est terminée, à l’exception du moulage du gisant, et qu’il souhaite la voir prendre place dans une salle du palais Jacques-Cœur. Ce vœu ne devait s’accomplir que dans les années 1920.
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En 1957 paraît l’article décisif de P. Pradel, qui réunit vingt-six pleurants – et non plus seulement dix-huit – autour du gisant de marbre, et élabore une belle synthèse, à partir des textes et des œuvres. L’exposition de P. Quarré, à Dijon, en 1971, s’est située dans le prolongement du travail de P. Pradel : l’année suivante, en 1972, le musée du Louvre acquérait un nouveau pleurant du tombeau ducal, portant désormais à vingt-sept le nombre de pleurants connus.
Les vestiges du tombeau
Le gisant de Jean de Berry, en marbre blanc incrusté de marbre noir pour imiter la fourrure d’hermine, conserve encore quelques traces de polychromie et de dorure, en particulier dans la couronne. Il se trouve dans la crypte de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, posé sur sa dalle de marbre noir, dont le chanfrein est orné de l’inscription funéraire, mentionnant I’achèvement du tombeau par Charles VII.
Le musée du Berry a recueilli une quinzaine de vestiges du tombeau : dix pleurants, dont deux en marbre, un gâble provenant du dais, également en marbre, trois fragments des niches latérales en albâtre (le gâble et deux de ces fragments de niche sont exposés, depuis 1936, au palais Jacques-Cœur). Le relief du Sommeil des apôtres, traditionnellement interprété comme un fragment du revers du dais, pourrait avoir une autre origine.
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Les auteurs du tombeau
Jean de Cambrai
Le gisant du duc de Berry est la seule œuvre documentée par un texte, du corpus de Jean de Cambrai. A. Erlande Brandenburg et S. K. Scher ont souligné les qualités artistiques révélées par cette effigie : traitement des drapés, poli du marbre, sens du portrait, mais aussi simplification des volumes du visage, où se rencontrent des ruptures de plan » et le « traitement sommaire de la surface», avec des rides indiquées par de simples incisions.
Le sculpteur exécuta au moins cinq pleurants, au style sobre, tel le pleurant au visage dissimulé derrière ses mains voilées, conservé au musée du Berry. Il est vraisemblable qu’il s’arrêta de travailler, faute de paiement, après la mort du duc de Berry.
Ces premiers pleurants ont pour caractéristique commune d’avoir, à l’arrière, une face lisse, piquetée à la broche, pour les faire adhérer par un mortier à la paroi de la niche.
L’équipe du milieu du XVe
Quand Charles VII fait reprendre le travail, il commence, comme on l’a vu, par payer les héritiers de Jean de Cambrai en 1449. Ensuite, à partir de 1450, il fait appel à de nouveaux sculpteurs ; le nom d’un de ces imagiers est laissé en blanc dans les comptes royaux, La date de fin du chantier n’est pas connue, puisqu’en 1459 les gens de la chambre des comptes d’Angers n’obéissent pas à l’ordre du roi René de se renseigner sur la présence à Bourges de Paul Mosselmann et d’Étienne Bobillet. Suivant P. Pradel, nous pensons que Bobillet et Mosselmann, les deux seuls qui apparaissent dans les paiements du roi René, pouvaient faire partie d’une équipe d’artistes « flamands », attirés à Bourges par l’opulence des commandes, à l’époque de la magnificence de Jacques Cœur, et n’avoir pas été les deux seuls sculpteurs à travailler alors au tombeau ducal. Cela aiderait à comprendre les disparités stylistiques entre les statuettes conservées.
De cette seconde équipe, on connait aujourd’hui vingt et un pleurants, tous taillés en ronde-bosse, et dans l’albâtre. On a généralement considéré que ce matériau avait été employé, sur ordre de Charles VII, par souci d’économie, car il était moins onéreux que le marbre, mais d’autres raisons, qui nous échappent aujourd’hui, ont pu entrer en considération.
Les auteurs de ces « images de deuil », très variées dans les vêtements comme dans les attitudes, ont manifestement recherché leur inspiration dans des œuvres récentes, et particulièrement chez les pleurants de Jean de Cambrai et ceux des tombeaux des deux premiers ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi et Jean sans Peur, alors érigés à la chartreuse de Champmol
Deux remarques sur le tombeau
L’ours ducal
L’animal le plus courant, aux pieds des gisants masculins du Moyen Age, est le lion, symbole de force, mais aussi de la résurrection. La présence d’un ours aux pieds de Jean de Berry est un unicum, qui renvoie à l’emblématique du prince. L’ours apparaît tôt comme portant de la bannière de Jean de Berry. Il est ensuite omniprésent, en particulier dans le décor des manuscrits (voir le lectionnaire et l’évangéliaire de la Sainte-Chapelle). Les érudits ont, depuis longtemps, souligné le rapprochement onomastique entre l’ours et I’un des saints patrons du diocèse de Bourges Saint Ursin. M. Pastoureau a, pour sa part, récemment attiré l’attention sur une autre origine possible de l’adoption de I ‘ours par Jean de Berry : un jeu de mots sur « bear » et « Berry », qui daterait de la captivité du jeune duc en Angleterre.
La dalle de marbre noir et son inscription
C’est, semble-t-il, Charles VII qui commanda la dalle de marbre noir support de l’effigie ducale. En effet, l’inscription gravée autour de la dalle se termine par la formule : et en mémoire duquel Charles VII, roi de France, son nepveu et heritier, prince tres chrestian et victorieux fit faire cette sépulture. On nous permettra de rapprocher cette inscription d’une autre, tout aussi célèbre, que fit faire Charles VII pour son portrait par Jean Fouquet, portrait dont on sait qu’il orna la Sainte-Chapelle de Bourges jusqu’à sa destruction. Sur le cadre du tableau, on lit : Le très victorieux roy de France / Charles septiesme de ce nom.
Ce portrait, aujourd’hui conservé au musée du Louvre, ne pourrait-il pas avoir été exécuté, sur ordre de Charles VII, pour servir de mémorial de la générosité royale envers la Sainte-Chapelle de Bourges, et faire en quelque sort « pendant » à l’effigie ducale ? Si tel était le cas, ce serait un argument supplémentaire en faveur de la datation du portrait dans les années 1450, c’est-à-dire précisément celles au cours desquelles Charles VII a fait compléter le tombeau de son grand-oncle, dans un souci à la fois politique et de piété familiale.