Philippe Tallis
La Marche, Gandhi & Mira
Au contraire de mes créations et compositions quotidiennes : temps suspendus, pris sur le vif, éphémères, Gandhi est le résultat d’un long cheminement spirituel et de belles rencontres.
Trois figures inspirèrent ma jeunesse : Nijinsky, Beckett et le Mahatma Gandhi. Ils partagent à mes yeux un amour inconditionnel de la vérité et un même courage dans la quête de celle-ci. Ceci devrait être le mantra de tout artiste. Quand nous sommes à notre meilleur, c’est cela que l’on recherche.
La genèse de cette œuvre et celle de Mira, qui l’accompagne, débute lors d’une rencontre avec Sir Richard Attenborough, alors Président de la Fondation Gandhi, chez lui à Richmond. Je lui présente des figurines modèles du Mahatma sur lesquelles je travaille. Il en choisit une et c’est celle-ci que je vous présente aujourd’hui.
La grande, mince figure spectrale qui a conduit la Marche du Sel à la mer. “Ceci est l’essence de Bapu”, me dit mon hôte
Philippe Tallis


Philippe Tallis
Philippe Tallis est né en 1960 à Lobatsi, au Botswana, d’une mère française et d’un père anglais. Il y vit jusqu’à l’âge de sept ans, puis passe deux ans en Angleterre avant une installation définitive en France, ponctuée de fréquents séjours Outre-Manche.
À seize ans, il assiste en auditeur libre à un cours de technique de peinture aux Beaux-Arts, puis entre à Penninghen, École Supérieure d’Art Graphique.
Peintre et sculpteur, il est toujours en quête du mouvement. L’être vivant s’anime sous son pinceau : l’animal retrouve l’espace africain alors que le danseur, l’acteur ou le musicien vit son spectacle. Tallis peint Carolyn Carlson, Maurice Béjart, Sylvie Guillem lors de répétitions et parfois sur scène.
L’artiste s’intéresse aussi au monde du cirque, il aime l’ambiance animée des spectacles et participe ainsi à des “gestuelles” sur scène et divers événements d’improvisation culturelle en France, en Belgique et en Allemagne.
Mis à part son travail avec les artistes, Philippe Tallis a été conquis par les animaux. Il garde en lui le souvenir de son enfance en Afrique, ses espaces, la terre rouge du Botswana et sa nature où l’immobilisme est synonyme de danger.
Ses tableaux saisissent la fulgurance de l’instant et nombre d’entre eux figurent la faune sauvage.

Le Gandhi par Carolyn Carlson
Je connais Philippe Tallis depuis plus de 30 ans, c’est un peintre, sculpteur et dessinateur de talent qui a capturé sur des centaines de fantastiques tableaux certains moments de mes pièces les plus marquantes : Blue Lady, Dark, Steppe et Vu d’ici au Théâtre de la Ville. Ce sont d’incroyables interprétations qui témoignent des empreintes laissées par mes chorégraphies, qui ne sont qu’éphémères en danse.
Philippe et moi avons collaboré à de nombreux événements poétiques et performances d’improvisation à l’Atelier de Paris et au Centre Chorégraphique National de Roubaix. Il est passé maître dans l’art d’esquisser des gestes spontanés d’actions et d’images fixes. Ses visions sont étonnantes car il danse avec nous sur le papier, c’est l’essence même de l’imagination, car c’est sa propre perspective qui est retranscrite. Son don de “voir dans l’instant” lui permet de créer des œuvres d’art.
L’instinct est une grande partie du talent inhérent de Philippe Tallis, il sait quand donner un coup de pinceau aux courbes organiques, laissant parler les formes dans un silence visuel expressif. Je remercie Philippe, artiste unique au service de l’art de la danse grâce à ses images qui sont les squelettes de poèmes intérieurs pour la postérité.
Récemment, j’ai vu sa sculpture de Gandhi, c’était comme s’il était vivant, la forme d’un homme humble avec des vérités universelles, une présence de paix, de beauté et de grâce. Sa chèvre marchant à ses côtés, rappel poignant du partage de nos mêmes sources primaires d’humilité et d’amour.
Un chef-d’œuvre d’un poète visionnaire.
Avec tout mon respect,
Carolyn Carlson
Pour allez plus loin
Sculptures
Philippe Tallis n’a sur l’art en général, ou le sien propre, qu’un point de vue d’artisan. Seul compte le geste juste : le résultat n’est qu’effet secondaire. À l’instar de tous ceux qui préfèrent admirer, il regarde, il s’imprègne, il s’inspire et il cherche. On le sent curieux de tout, sensible à l’autre, avide de tout saisir de la vie qui l’entoure. Il pose sur les corps la douceur de son œil bleu. Il semble pénétrer l’univers à transcrire, mais se fait oublier pour en révéler l’essence.
Plus que peintre du mouvement, peintre de l’émouvant semble mieux convenir. C’est l’émotion nue qu’il cherche, la sensibilité du vif, pour figer ce qui le touche. Cela peut être de la manière la plus délicate qui soit, en juxtaposant deux improbables pierres qui feront dans la seconde un “mouflon” très crédible. Ou à l’inverse, de façon très spectaculaire et provocante, en épinglant d’acier une autruche que ses ailes en portes de voitures froissées et aux couleurs fluo attirent vers le ciel.
Né aux temps d’une société de consommation boulimique, Philippe Tallis n’a jamais cessé de rêver la sobriété d’un futur où les mots “détruire, gâcher, perdre” auraient disparu du vocabulaire. Sa campagne paisible est soudain striée de ferrailles et bastaings, ondulée de tôles de corrosions diverses, encombrée de pierres de mille couleurs. À ce bric-à-brac de matériaux, au désordre d’une casse, tous les avenirs sont promis. Philippe Tallis conservera tout ce qui s’en suivra : esquisses, dessins, aquarelles, toiles et pierres en leurs différents états. “La poubelle est un royaume”… hasarde-t-il humblement. Et soudain, cette inépuisable richesse n’est pas loin de nous émerveiller.
Ce que Philippe Tallis nous donne à voir touche toujours son but. Au premier plan, le sujet ressort vif, net, virtuose parfois, accentué de fonds neutres, vides parfois. D’où l’impression de focus qui évite que le regard se perde, ce qui est aussi le principe de certaines sculptures. Philippe Tallis semble abandonner le reste de l’œuvre à la pierre brute. Alors l’essentiel est dit, l’objectif atteint.
Texte de Pierre-Yves Boufard.
Peinture et Dessin
Alors, la quête du mouvement se fait obsession.
Ne pas chercher. Pour lui, les mots ne viennent qu’après.
Alors quoi ? De grands coups de balai, des traces. L’instant tracé. Ce qui compte ? Trouver la fulgurance de l’instant : la vivacité dans le flot continu du geste. Homme ou animal. Saisir la rencontre avec la vie. Chercher à sortir du discours de la peinture. De la sculpture. S’adonner à l’écoute des sons, des couleurs et du rythme provoqué par les touches. Cueillir les cassures, les brisures, le flux continu d’une ligne. Avancer par coup de foudre. Foudroyer. Avec l’éclair, une image vient, son énergie déchire la toile.
Il rit. Refuse d’être pris au piège des mots. Le sérieux est ailleurs. Dans l’effort continu, la recherche du mouvement. Chaque pas est une perte d’équilibre.